Comme beaucoup d’utilisateurs de réseaux sociaux, j’ai découvert cet automne Mastodon, un outil de micro-blogging présenté comme une alternative libre et open-source à Twitter, le maître du genre et leader du marché. Cet article a pour but de relater mon expérience personnelle sur ce réseau, moi qui n’ai auparavant jamais vraiment fréquenté Twitter. Mais commençons donc par resituer ces évènements dans leur contexte. Cela me permet notamment de revenir sur les étapes qui ont jalonné la création des réseaux sociaux, depuis l’époque des micro-communautés sur internet jusqu’aux plateformes actuelles appartenant aux géants GAFA. Aujourd’hui en perte de vitesse, les réseaux sociaux vont-ils exploser pour retourner à un mode de fonctionnement plus fractionné, comme ce qu’ils étaient au départ ?
Historique des services en ligne et des réseaux sociaux
Un réseau social constitue un moyen virtuel de relier entre elles des personnes physiques ou morales, selon la définition de Wikipédia. Ce principe a suppléé depuis l’existence d’internet la nécessité pour des personnes physiques d’être en contact en face à face, ou en réunion collective afin d’échanger des propos ou d’autres éléments plus matériels. Si l’on s’en tient à ce que nous dit la page Wikipédia consacrée aux réseaux sociaux, et hormis le fait que le réseautage social existait bien avant la technologie qui a permis la création même de ce terme « réseau social », le concept aurait vu le jour avec l’arrivée de l’internet et du web. C’est évidemment inexact car les réseaux sociaux ont préexisté à l’arrivée d’internet grâce à l’invention de la télématique.
Avant internet, la télématique
Si internet a commencé à se répandre d’abord dans les milieux universitaires puis plus tard dans les foyers français dans les années 1990, il reste que beaucoup de gens possédaient un ordinateur chez eux, ou un minitel, et se connectaient à des services en ligne, bien avant l’arrivée d’internet.
La France était d’ailleurs à l’époque pionnière dans ce domaine, et avant qu’internet ne commence à se répandre chez tout le monde dans les années 2000, elle avait permis à une grande partie des foyers français de s’équiper gratuitement d’un minitel (permettant d’accéder au réseau Télétel), petit ordinateur, ou plutôt terminal passif, disposant d’un écran monochrome puis plus tard en couleur, d’un clavier et surtout d’un modem permettant de se connecter à divers services via une simple ligne téléphonique. Autant dire que tout le monde pouvait facilement utiliser ce minitel.
Mais avant cela, dès la fin des années 1970, et jusque dans la première moitié des années 1990, la télématique — littéralement : informatique à distance — a permis aux quelques personnes disposant d’un ordinateur, c’est-à-dire ne le possédant pas forcément, mais y ayant accès, de se connecter à des serveurs (on ne parlait pas alors encore de services) en ligne. C’était la vague des BBS (Bulletin Board System, système de bulletin électronique ou en français québécois « Babillard électronique »). Les BBS ont préfiguré les services vidéotex pour une poignée de « geeks » connectés avec un simple modem dont la vitesse, qui ferait rire le premier péquenaud équipé de la plus basique des lignes ADSL d’aujourd’hui, ne permettait de transférer que quelques caractères par seconde. Avec l’arrivée de modems plus performants, notamment ceux de la marque US Robotics, les vitesses s’accrurent et il fut permis de transférer, en plus des simples messages de tchat, des fichiers : programmes, images ou sons. Beaucoup de ces BBS fonctionnèrent comme des dépôts de fichiers, contenant souvent des programmes piratés d’ailleurs. J’ai moi-même été connecté à l’un des ces BBS, de manière tardive, vers 1991 ou 92. La machine s’appelait Renux et tournait sous Linux. Elle appartenait à René Cougnenc, un des pionniers en France du système d’exploitation Linux, qui a fortement contribué à faire connaître ce dernier, et à le documenter en français. Il est malheureusement décédé en 1996, à l’âge de 41 ans. Il avait commencé dans la télématique comme programmeur et avait développé sous MS-DOS un programme de communication par modem permettant de faire tourner un BBS, le programme BbTH.
Ces BBS constituaient, déjà à l’époque, des communautés d’utilisateurs, ayant des centres d’intérêt communs (plutôt autour de l’informatique) et discutant entre eux via ces serveurs. Parallèlement aux BBS, il existait aussi ce qu’on nommait les groupes de discussion Usenet (Newsgroups), un système de forum par échange de messages dans des fils de discussion se trouvant eux-mêmes agrégés au sein de groupes par centre d’intérêt et langue utilisée. Par exemple, le groupe fr.comp.os.linux traitait du système d’exploitation Linux en langue française. Il était possible de s’abonner aux groupes de son choix et de participer aux discussions. Les groupes Usenet pouvaient être consultés via un programme dit « Lecteur de nouvelles » (Newsreader), le plus célèbre étant Netscape qui tournait sous plusieurs environnements (Windows, Mac, Linux…). Aujourd’hui, il est toujours possible de consulter les groupes Usenet et notamment sur le web via des outils comme Googlegroups. Usenet permettait de créer autant de groupes que nécessaire et de s’y abonner.
A noter également l’existence des serveurs IRC (Internet Relay Chat) qui étaient des espaces de discussion regroupés par canal (channel) que l’on pouvait rejoindre (join). IRC fonctionnait avec des commandes standards que l’on devait saisir au clavier. Les messages et leurs réponses étaient affichés en mode texte et uniquement en temps réel, contrairement aux newsgroups dont le contenu devait être téléchargé et consulté comme dans une messagerie classique (courriel). Il fallait donc être connecté en continu pour pouvoir utiliser IRC. Il existe encore aujourd’hui plusieurs serveurs IRC en activité.
Avec l’avènement du web et de la multitude de sites disponibles, les forums de discussion ont fini par remplacer les BBS et mêmes les newsgroups Usenet, qui sont désormais beaucoup moins usités. Grace aux forums de discussion, un site internet traitant d’un sujet particulier peut facilement se façonner sa communauté d’utilisateurs et leur permettre d’interagir avec les autres utilisateurs du site. Par exemple, le site Audiofanzine, un site d’information sur la production musicale et le matériel ou instruments qui y sont dédiés, possède son propre forum, permettant aux utilisateurs inscrits sur le site de commenter les articles et l’actualité du site, mais aussi de poster des petites annonces et d’y répondre. Chaque site web aura sa propre interface pour gérer ces forums, bien qu’il existe des logiciels dédiés et utilisés sur de nombreux sites, qui permettent de faire tourner ces forums, comme par exemple le célèbre phpBB. BB est l’acronyme qui reprend toujours la terminologie « Bulletin Board », déjà utilisée par les BBS.
L’avènement des réseaux sociaux
Si l’on résume donc la chronologie évoquée précédemment, nous avons donc grosso modo :
– Années 1960/70 : l’avènement de l’informatique et des réseaux.
– Années 1980 : arrivée de l’informatique personnelle et de la télématique.
– Années 1990 : dernière époque de la télématique, développement d’internet et du web (version visuelle et graphique d’internet)
– Années 2000 : arrivée de l’internet dans tous les foyers et du web 2.0, plus interactif. Avènement des réseaux sociaux : Facebook et Twitter.
– Années 2010 : main mise des GAFA sur le réseau internet. Le smartphone devient le terminal préféré des Français pour l’accès aux réseaux, devant l’ordinateur personnel.
Sur la base de tous les principes de communication de groupe que nous avons exposés précédemment vont naître les services de socialisation sur le web, dit « réseaux sociaux », sortes de sites web très interactifs sur lesquels des milliers puis des millions d’utilisateurs vont pouvoir échanger entre eux. Il semblerait que le premier réseau social purement web 2.0 soit le site classmates.com, un site nord-américain permettant à ses membres de retrouver leurs camarades d’école, à l’instar du site français Copains d’avant, qui avant l’arrivée de Facebook était le premier réseau social français en terme d’audience. Dans le même temps se sont développées aux USA des messageries instantanées pouvant être apparentées aux réseaux sociaux comme MSN, ICQ, AOL Messenger, etc. En effet, certains programmes hérités de ces messageries, comme WhatsApp, par exemple, plutôt dédiés à la discussion en temps réel entre personnes, possèdent également des fonctions qui leur permettent de créer des micro-communautés d’utilisateurs en ligne. Mais ce n’est pas le cas de tous les outils de ce type.
Inspiré par des sites comme Classmates.com, Mark Zuckerberg, alors étudiant, fonde avec d’autres camarades le réseau Facebook (traduction française : trombinoscope) permettant aux étudiants de l’université d’Harvard de se regrouper et de communiquer entre eux. Le site est ensuite ouvert à d’autres universités américaines, et sur invitation seulement, puis devient public en 2006. En 2017, il compte 2 milliards d’utilisateurs actifs par mois, devançant alors toutes les autres plateformes : 700 millions pour Instagram, 238 millions pour Twitter, 166 millions pour Snapchat…
Facebook, avec son principe de connexion des utilisateurs sous la notion très particulière de lien d’amitié, est sans doute ce qui se rapproche le plus du concept de réseau social comme on peut généralement l’entendre : agrégation de personnes qui se voient les unes les autres et discutent entre elles, dans un monde clos mais que chaque participant peut contribuer à élargir en fonction de ses centres d’intérêt et de ses relations. Ainsi, si l’un de mes « amis » est abonné à une page parlant de rock heavy metal et qu’il commente certaines publications, je peux être amené à les voir, et même si je n’y suis pas abonné. Facebook laisse la place libre aux personnes morales : sociétés commerciales, marques et autres organisations à but non lucratif, leur permettant de créer des pages pour les représenter, se substituant ainsi et de plus en plus aux sites du web et faisant que davantage de ces organisations délaissent même le concept de site web pour juste alimenter une page sur Facebook. Facebook est donc devenu un peu le « web dans le web », et un moyen de communication et de promotion très utile aussi pour les entreprises, et à moindre frais.
Twitter a été créé en 2006, soit 2 ans plus tard que Facebook, dans le cadre privé, au sein d’une startup. Twitter se présente comme un site de micro-blogging (micro-journal) sur lequel les utilisateurs peuvent publier des messages courts de 140 caractères (passés à 280 depuis quelques années). Contrairement à d’autres réseaux sociaux plus complexes comme Facebook, qui sont devenus avec le temps des « usines à gaz », Twitter prétend conserver une certaine simplicité dans sa conception. Inspiré du système des textos (SMS) dont la longueur était limitée à 160 caractères, le service se veut un outil de communication rapide et instantané, ce qui le rend très populaire chez les jeunes et aussi très prisé par les médias. En particulier, une des fonctions phares de l’outil est de pouvoir « re-twitter » (faire suivre) des messages, rendant un contenu/propos très rapidement viral. Twitter est également le média des petites phrases, utilisé par les personnalités les plus variées et notamment dans le monde de la politique, ce qui fait que les déclarations véhiculées par ce média sont souvent sujet à controverse. A contrario, Facebook est plutôt un réseau utilisé par des personnes plus âgées ou plus passives. On y publie des informations plus personnelles et on échange beaucoup sous forme de commentaires sur des publications existantes, sans forcément apporter du contenu original. Il s’y constitue des réseaux plus fermés de gens ayant des relations entre eux. A l’inverse, Twitter est un réseau à vocation plus publique : la notion d’ami n’existe pas. Il est possible de suivre une personne pour recevoir automatiquement des notifications lorsqu’elle publie. Il n’est pas nécessaire de suivre un membre pour commenter ses publications. Tous les commentaires sont publics et visibles de tous, sauf exception.
Twitter et Facebook sont deux conceptions assez différentes de réseaux sociaux qui en font qui ont font néanmoins, au final, deux outils de blog collaboratif. En une décennie, aussi bien Facebook que Twitter deviennent des entreprises parmi les mieux cotées au monde, sans pour autant que leur modèle économique soit le plus rentable.
Je ne parlerai pas des autres réseaux-sociaux du type Instagram ou Tik-Tok qui sont plus spécifiquement dédiés à l’image et à la vidéo.
Et Mastodon fut (et avec lui tout le Fédivers)
Pour faire face aux mammouths de l’internet et des réseaux sociaux, la révolte s’organise, à l’aide notamment du monde de l’open source et des logiciels libres. Mais qu’est-ce que Mastodon ? Il s’agit bien d’une alternative libre à Twitter et à d’autres réseaux sociaux. Mais en y regardant de plus près, Mastodon ressemble cependant beaucoup à Twitter (et apparemment aussi à Tumblr, moins connu), dans sa conception, mais avec quand même pas mal de différences que nous expliquerons plus bas. Mastodon est né en 2017, soit beaucoup plus tard que ses prédécesseurs. C’est en 2022 qu’il commence à exploser en terme d’audience. Il fait partie d’un ensemble plus large nommé le Fédivers, un univers composé d’outils alternatifs pour la composition d’un maillage de réseaux sociaux.
Suite à l’annonce, fin mars 2022, du rachat de Twitter par le milliardaire Elon Musk, pour une valeur de 44 milliards de dollars, puis à son rachat effectif en octobre, et les annonces de licenciements de personnel auxquels a procédé Elon Musk, nous assistons à deux pics de migration d’utilisateurs Twitter vers Mastodon, d’abord en avril, puis en novembre. Moi même possédant un compte sur Twitter mais ne l’utilisant pas, je m’inscris sur Mastodon aux alentours du 11 novembre, intrigué par cette vague de ralliements et cette médiatisation (Mastodon est mentionné dans les médias et notamment au journal de 20h de France 2, par exemple). Je découvre alors ce réseau social, et aussi les nouveaux utilisateurs inscrits en même temps que moi, et mes premiers posts consistent surtout à envoyer à ces newbies (alors que j’en suis moi-même un) un lien vers la notice d’utilisation de Mastodon, qu’un grand nombre d’entre eux semble ne pas avoir lue.
Mastodon vs Twitter
Mastodon se présente donc comme un Twitter libre et indépendant, tout en prévenant les utilisateurs de Twitter que Mastodon n’est pas qu’une simple alternative à Twitter, malgré les similitudes évidentes entre les deux outils. Il est vrai que Mastodon reprend les codes et le fonctionnement de Twitter, jusque dans l’esthétique du site et les concepts et termes utilisés, mais en opposant sa « marque » à celle de Twitter :
– La mascotte de Twitter est un oiseau, tandis que celle de Mastodon est un Mammouth.
– Un post sur Twitter est appelé un « tweet » (gazouillis), sur Mastodon, il s’agit d’un « pouet » (toot en anglais). Faire suivre un message sur Twitter s’appelle retwitter, sur Mastodon c’est repouetter.
– On peut suivre un utilisateur sur Twitter comme sur Mastodon.
– Globalement, on retrouve la même disposition des éléments sur l’écran : un fil d’actualité central, un menu (à gauche sur Twitter, à droite sur Mastodon), une zone de recherche, une zone « tendance »…
– La structure des fils de discussion est la même : les messages sont organisés selon un arbre de discussion, et il est possible de se greffer sur n’importe quelle branche de cet arbre.
– Le bouton « Retwitter » s’appelle « Partager » sur Mastodon, « Aimer » s’appelle « Ajouter aux favoris »…
– L’accès au flux d’actualité ne nécessite d’inscription ni sur l’un ni sur l’autre, et il est possible de consulter n’importe quelle publication sans être inscrit, mais il est nécessaire de s’inscrire pour poster ou réagir à un post.
– Les messages Mastodon sont limités à 500 caractères, contre 280 pour Twitter.
Ce qui est étonnant est le choix des logos opéré par chacun des deux réseaux. L’emblème de Twitter est un oiseau bleu. Il est censé symboliser la légèreté des messages échangés sur le média. Mastodon lui est représenté par un mammouth, un animal plutôt massif (et aussi disparu depuis longtemps), et qui donc symbolise à mon sens une certaine lourdeur. Or, c’est plutôt Twitter qui fonctionne de manière monolithique, plus que Mastodon qui se révèle plus éclaté dans son mode d’organisation. Amusant retournement.
Mastodon, réseau social distribué
Avant toute chose, il est important de comprendre comment fonctionne un réseau social tel que Mastodon, quel est le mode de pensée de ses créateurs et comment ils ont l’ont construit et organisé. L’idée qui me semble la plus importante est que pour une partie des internautes qui comprennent Internet dans sa globalité et dans son idéal, il ne devrait pas y avoir d’outil aussi puissant que Twitter entre les mains d’une société ou bien d’un seul individu, que c’est une source de pouvoir trop importante, ce que nous avons du reste pu constater depuis l’acquisition de Twitter par Elon Musk, qui a droit de « vie et de mort » sur ses employés, et peut décider seul qui peut s’exprimer sur son média. Un réseau au sens le plus large (Internet) et au sens restreint, un réseau social, un outil, devrait rester libre et ouvert, et géré par une communauté d’individus avec si possible un but non lucratif. Et surtout, Internet n’est pas un réseau privé et fermé, c’est un maillage décentralisé de réseaux d’ordinateurs permettant aux uns de communiquer avec les autres. C’est l’idée qui sous-tend la création d’outils informatiques comme Mastodon, et d’autres dans le Fédivers.
Mastodon est un logiciel libre et gratuit. Par cela on entend une collection d’outils : un serveur, des clients, des applications mobiles. Tous ces outils permettent de se connecter à ce réseau social. Le logiciel principal, qui permet de faire tourner le serveur et de s’y connecter via un navigateur, est open-source. Cela permet à quiconque ayant quelques compétences, de monter son propre serveur Mastodon et de proposer un service à des utilisateurs. Mastodon est donc ouvert, et de par sa conception, distribué, car il ne s’agit pas d’un seul serveur mais d’une galaxie de serveurs publics ou privés, connectés les uns aux autres. Vous allez me dire : « oui, mais si chacun construit son propre serveur, nous n’avons pas affaire à un réseau social mais à une multitudes de réseaux sociaux ». En fait oui et non. Mastodon se définit bien comme une multitude de serveurs, mais dans le même temps c’est aussi, de fait, un seul réseau car ces différents serveurs sont interopérables et communiquent entre eux. Vous vous inscrivez sur un serveur particulier, qu’on appelle une instance, et avez votre compte et vos publications hébergées sur ce serveur. Néanmoins, vos messages peuvent-être vus d’autres serveurs et vous pouvez accéder et partager les publications d’autres instances, communiquer avec les utilisateurs d’autres instances et les « suivre ». Ceci est possible grâce à ActivityPub, un protocole de communication standard et ouvert permettant à tous les outils du Fédivers de se synchroniser afin d’agir comme un tout. N’est-ce pas un peu revenir à l’essence même du World Wide Web avec sa navigation hypertexte ? Vous êtes à un endroit, mais l’instant d’après, vous cliquez sur un lien et vous vous retrouvez ailleurs. Vous naviguez hors de votre instance, mais vous êtes toujours sur Mastodon.
En vous inscrivant sur ce réseau, vous créez donc un compte, ou un profil, sur une instance, un serveur que vous devez choisir. En faisant cela, vous opérez déjà un premier choix important. Si vous recherchez « Mastodon » dans votre moteur de recherche, vous allez trouver en premier lieu mastodon.social, l’instance principale et d’origine de Mastodon, gérée par Eugen Rochko, son créateur. Mais ce n’est pas forcément l’endroit où vous devez vous inscrire. D’ailleurs, il sera impossible de le faire sur ce serveur qui ne n’accepte plus d’inscriptions depuis belle lurette et on vous invitera à choisir opter pour une autre instance pour héberger votre compte en allant sur cette page. Vous pourrez alors sélectionner votre serveur en fonction du pays d’hébergement, de la langue principalement utilisée (en effet pourquoi s’inscrire sur une instance sur laquelle la plupart des publications sont faites en anglais si le français est votre langue principale et préférée ?), du type d’hébergement (public ou privé) et de vos centres d’intérêts. Si vous êtes un gamer ou un geek, inscrivez-vous plutôt sur une instance orientée vers ces thèmes, cela vous permettra d’avoir un maximum de posts autour de ces sujets. Ça ne vous interdit nullement de poster des messages sur la politique ou les médias, par exemple, car Mastodon est ouvert aux autres instances, toujours en vertu de cette interconnexion dont nous avons parlé plus haut.
Veuillez noter que vous n’êtes pas obligé de vous inscrire sur Mastodon pour aller consulter le contenu de n’importe quelle instance. Vous ne devrez ouvrir un compte que si vous souhaitez publier du contenu ou interagir avec les utilisateurs du site. Mastodon est très ouvert, mais il peut aussi se refermer. Dans l’idéologie derrière ayant présidé à sa conception, on pense qu’il est souhaitable de pouvoir se couper de certains types de publications pour ne pas les subir. Aussi un administrateur d’instance peut-il décider de se déconnecter de certains serveurs sur lesquels la liberté d’expression laisserait libre court à des propos controversés, insultants, violents…
Avant toute inscription, je vous conseille fortement de vous documenter sur Mastodon et de comprendre précisément comment ce réseau fonctionne, en consultant notamment la documentation officielle en français.
Vous avez dit « communautés » ?
Pourquoi est-ce que je parle de communautés, ou de micro-communautés sur internet ? Il faut revenir au début de cet article où je retrace la création des communautés numériques qui ont conduit à l’invention des réseaux sociaux tels que nous les connaissons aujourd’hui. Au départ, ces communautés d’utilisateurs étaient essentiellement composées de geeks (aficionados de la chose informatique) par nécessité : internet et la télématique étaient réservés à leurs débuts à une minorité de gens très intéressés par cette technologie. Puis internet a envahi les universités et les milieux scientifiques, qui y ont vu un formidable outil de partage des connaissances et de communication. On ne trouvait donc pas n’importe qui sur les réseaux, et les gens se regroupaient par affinité ou projet de recherche. Avec l’avènement du web et des forums, l’utilisation s’en est élargi, mais on restait quand même cantonné à certains domaines, aussi variés que les sujets traités par les sites accueillant les fameux forums de discussion.
Ce n’est qu’avec l’arrivée de l’internet grand public et des réseaux sociaux que des mélanges se sont opérés. Beaucoup de gens sont arrivés sur ces réseaux pour se divertir, par paresse, ennui ou pour découvrir internet. Si Twitter est très ouvert par principe, Facebook l’est moins. Je crois que nous avons tous perdu beaucoup de temps et d’énergie à échanger des commentaires avec des inconnus qui pour certains ne pensaient pas du tout la même chose que nous, n’avaient pas les mêmes centres d’intérêt et même pas du tout la même culture, y compris celle des réseaux. Beaucoup n’ont pas acquis les codes de l’internet et échanges qui s’y déroulent, la fameuse « netiquette », parce qu’on leur a vendu Internet comme un vulgaire objet de consommation. Les gens ont commencé à avoir comme passe-temps la contradiction permanente et sur tous les sujets, et surtout sur ceux qu’ils connaissaient le moins bien. Puis sont venus les insultes et le harcèlement, car finalement, pour certains, n’ayant aucune culture informatique et des réseaux, voire aucune culture tout court, pour eux tout cela était juste un moyen de se défouler, de combattre leurs frustrations, et il leur paraissait facile d’écrire n’importe quoi, de faire circuler de fausses informations, alors que l’internaute averti pèse chacun de ses mots et mesure ce qu’il va écrire car il sait que tout écrit reste et qu’on a une réputation à préserver. C’est un héritage du temps où l’on était quelqu’un sur les réseaux, parce qu’on était peu nombreux, qu’on était qu’une poignée d’utilisateurs privilégiés et conscients de ce privilège. Mais pour beaucoup de gens, les réseaux ne sont que des pages qui se déroulent et où tout s’oublie et s’efface, ou tout défile, sur lesquelles on ne compte ni ne mesure plus ce qu’on écrit, parce que de toute manière on ne paie ni la bande passante, ni le stockage des données qui est financé par des multinationales et de la publicité. Aller sur les réseaux sociaux, c’est finalement comme aller faire ses courses au supermarché : on devient consommateur de l’internet. Et comme le dit je ne sais plus qui, lorsque le produit est gratuit, c’est que le produit, c’est vous !
Les réseaux ne sont plus qu’une vaste communauté qui n’a plus rien de communautaire, juste une infinité d’individus qui passent leur temps à revendiquer on ne sait quoi, le « moi, moi et moi », avant tout. On est facilement perdu dans ce grand tout, et qu’est-ce qu’on y apprend ? A perdre son temps surtout. Alors évidemment, sur certains réseaux, vous vous constituez des réseaux d’ « amis ». Mais bon, est-ce que dans la réalité vous avez 200 amis ? Non, évidemment.
Les choses sont un peu différentes sur Mastodon. Tout d’abord, on va s’inscrire sur un serveur que l’on choisit, comme au temps des premiers serveurs en ligne. On choisit donc, en un sens, plus qu’un centre intérêt, une communauté. C’est pourquoi il est important de ne pas la choisir au hasard, ça demande réflexion. On réalise assez vite quand on navigue sur Mastodon que l’on évolue dans une communauté particulière. Une instance Mastodon, un « serveur », ce n’est pas un espace infini, c’est un espace fini, délimité par les capacités du serveur, par des moyens qui sont mis en œuvre pour le faire tourner au quotidien, par le nombre d’utilisateurs et de connexions qu’il est capable d’absorber. On n’est plus un consommateur désormais. On sait quelles sont les limites. La première limite, par exemple, c’est si le serveur dit : « désolé, je ne prends plus personne ». Et oui, en prenant deux minutes, on peut réfléchir et se dire : « ah ben oui, il y a quelqu’un qui est derrière tout ça, qui le fait marcher, qui paie tout ça ». Donc la première étape pour entrer dans la communauté, c’est de s’inscrire, la deuxième de découvrir là où on a mis les pieds, et qui d’autre s’y trouve. Et à un moment se pose la question du financement et peut-être donc de participer à financer ce que nous allons utiliser. Même si l’inscription est gratuite, il y a toujours quelqu’un qui doit payer.
Ensuite, vient le temps de participer à la vie de la communauté. Lorsque vous arrivez sur Mastodon, vos « amis » ne vous y ont pas suivi. Ils sont restés sur Facebook ou sur Twitter. Vous êtes donc seuls ? Mais non, pas du tout. Il y a pleins d’autres gens qui s’expriment, qui vous parlent. Donc, au début ça fait bizarre, de publier des trucs et de se dire que tout le monde peut vous lire, et de lire ce que tous les autres publient (sauf si vous venez de Twitter). Bien sûr, il existe un mode de publication privé sur Mastodon. Mais à quoi bon publier quelque chose que vous serez le seul à voir. Alors bon, moi, je suis peut-être naïf, je n’ai jamais utilisé Twitter (enfin, si mais depuis peu, pour voir comment ça marche), mais là sur Mastodon, et bien quand vous publiez des choses, les gens commencent à vous suivre, alors vous regardez qui vous suit, ce qu’ils publient eux-mêmes, et peut-être qu’après c’est vous qui les suivez. Puis, il vous arrive de commenter leurs publications, voire de faire des réponses privées. Alors assez vite nait le sentiment d’être dans une communauté, et pas celle des gens que vous connaissez au départ.
Quand on vient de Facebook…
… et qu’on n’a jamais pratiqué Twitter, le contraste est saisissant. Afin de comprendre Mastodon, et parce que la référence à Twitter est évidente, j’ai réactivé mon compte Twitter, dont je ne me sers jamais, étant un utilisateur régulier de Facebook. Je reviendrai sur la notion de communauté, car elle est importante. Sur Facebook, vous êtes au départ dans un cercle d’amis, cercle qui s’agrandit parfois. Avec le temps, dans le fil d’actualité, ce que vous voyez se retrouve de plus en plus noyé au milieu de la publicité, les publications suggérées, tout ça par la grâce du fameux algorithme. Bref, on vous oriente de plus en plus vers ce qu’on estime que vous voulez voir, avec un peu de pub, parce que faut pas déconner, il y a un modèle économique à tenir. J’ai toujours eu du mal avec la publicité. Lorsque je regarde la télé, je m’oriente plus volontiers vers des médias et des programmes sans pub, ou avec peu de pub, parce que maintenant même sur le service public, il devient difficile de ne pas la subir. Lorsqu’il y a de la pub, je ne la regarde pas, je la zappe, même sans changer de chaîne : elle glisse sur moi, j’essaie de l’ignorer. L’arrivée sur Mastodon (et même sur Twitter), c’est comme un bain anti-pub déjà : zéro activité commerciale, et les quelques utilisateurs qui font de la promo pour quelque chose se font gentiment jeter.
De par sa nature de réseau social alternatif, Mastodon attire une population plutôt politiquement de gauche, alternative, écologiste… qui recherche la tranquillité, le partage, une certaine forme d’entre-soi, peut-être… Il est vrai qu’on ne trouve pas grand monde avec qui s’engueuler, même si on n’est pas forcément d’accord avec tout ce qui s’écrit (moi par exemple, je ne suis pas très végan). Mais cette tranquillité, ça change un peu de Facebook ou de Twitter, où pas mal de commentaires sur les publications sont « contre » et non « pour » quelque chose.
Sur Mastodon, vous n’avez pas la sensation d’être dans un grand tout, mais plutôt d’être sur une île, avec de temps en temps des bateaux pour relier les iles voisines. Cette tendance s’illustre via les 3 fils d’actualité disponibles, et qui sont décrits comme suit :
– Fil de la page d’accueil : affiche les publications des membres que vous suivez, quelle que soit leur instance (leurs publications peuvent venir d’autres serveurs). Donc, c’est votre sélection, ce que vous avez choisi de voir. Dans les premiers temps, et si vous vous abonnez à certains médias, cette section pourra paraître vide ou répétitive. Avec le temps, elle gagnera en pertinence.
– Fil local : c’est le flux de données de votre instance, la liste chronologique des publications qui sont faites par les utilisateurs de votre serveur. Elle donne plus le ton de votre communauté d’accueil. Il est intéressant de la parcourir pour découvrir les utilisateurs de votre instance et ce qu’ils y publient. Vous pourrez ainsi suivre certaines personnes et interagir avec leur contenu.
– Fil global : ce fil ajoute aux publications locales les publications des membres suivis par les utilisateurs de votre instance, et donc ce fil va élargir la navigation à d’autres serveurs, potentiellement dans d’autres langues que celle pratiquée sur votre instance.
Mastodon a ajouté un fil « # Explorer » qui fait la promotion des sujets d’actualité ou populaires sur votre instance. Il permet de consulter les sujets à la mode sur le réseau.
Donc comme vous le voyez, Mastodon garde un côté très « local ». En consultant le fil d’actualité local, on va vite retrouver les publications des mêmes utilisateurs, selon la taille de l’instance, c’est-à-dire le nombre d’utilisateurs réguliers s’exprimant sur ce serveur. Cela va être variable selon les instances, et c’est pourquoi Mastodon conseille d’adhérer à des instances moins fréquentées si vous voulez rester sur un serveur à taille humaine et ne pas replonger dans un grand tout similaire à Twitter.
Une autre sensation que j’ai eue en parcourant Mastodon, c’est d’avoir plus le temps de lire les publications. Sur Facebook, si l’on passe une heure sans lire le fil d’actualité, on loupe un tas de choses, car un contenu est immédiatement chassé par un autre, aussi souvent par le simple fait de l’algorithme. Et ça donne l’impression d’une multitude de contenus éphémères dont finalement on pourrait très bien se passer. Mais vous allez me dire que de toute manière on pourrait très bien se passer des réseaux sociaux. C’est pas faux ! Reste que Mastodon vous donne plus de temps pour consulter ce que vous n’avez pas eu le temps de voir : en activant le mode lent, les nouvelles publications ne sont pas automatiquement affichées, et vous pouvez cliquer quand vous le souhaitez pour voir les nouvelles publications et chasser les anciennes. Vous pouvez également ajouter les publications que vous souhaitez conserver en créant des marque-pages. Il est également possible de créer des listes pour classer vos abonnements, mais cette fonctionnalité ne m’est pas encore très familière.
Mastodon donne une grande impression de fluidité à l’utilisation, un peu comme Twitter, mais pas du tout comme Facebook qui est devenu très lourd avec le temps. Donc là aussi, c’est un vrai bol d’air.
Pour l’instant Mastodon n’est pas encore très fréquenté, et peu de personnalités ont fait le pas de passer de Twitter à Mastodon. Ça changera peut-être, mais personnellement j’en doute. Ils resteront là où ils auront le plus de chance de communiquer avec le plus grand nombre, avec la masse. Je ne pense pas que ce sera sur Mastodon. Mais l’avenir nous le dira.
Comme vous êtes un citoyen responsable, vous pourrez également configurer l’option, dans votre profil, permettant de purger du serveur tout ce que vous y avez publié, au bout d’un certain temps. À quoi bon conserver ad vitam æternam tout ce que vous avez écrit, ce n’est pas pour la postérité. Et ça permettra de libérer de l’espace disque et de
Comme vous êtes un citoyen responsable, vous pourrez également configurer l’option, dans votre profil, permettant de purger du serveur tout ce que vous y avez publié, au bout d’un certain temps. À quoi bon conserver ad vitam æternam tout ce que vous avez écrit, ce n’est pas pour la postérité. Et ça permettra de libérer de l’espace disque et de faire économiser de l’argent à la personne qui gère le serveur.
Pour approfondir vos connaissances sur Mastodon, vous pouvez lire les articles suivants :
– Mastodon, le réseau social libre et décentralisé prêt à voler dans les plumes de Twitter (NextInpact, 2017, par Vincent Hermann)
– Mastodon, fin de (première) partie ? (Framablog, 12 nov 2022)
Merci à Marielle pour la relecture et correction.